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Chronicle of the NonPop Revolution


  Gerard Pape: Oeuvre

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Two Electro-acoustic songs

Ces pièces ont été commandées par Madame Leonore Gerstein de Ann Arbor dans le Michigan (USA) et lui sont dédiées. Deux poèmes hébreux de la poétesse israélienne Dahlia Ravikovitch (« Time Caught in a Net » et « On the road at night ») ont été utilisés pour les chansons.

Musicalement, ces deux chansons puisent leur inspiration dans trois sources théoriques différentes : la première est la théorie musicale de Julio Estrada « composer dans le Continuum ». On effectue dans un premier temps une division de l'événement musical en de multiples paramètres du son, ensuite on dessine un graphique pour chaque paramètre, cette représentation graphique « trajectoire » est alors transcrite sous la forme d'une notation musicale étendue. Pour une composition spécifique, la « trajectoire » est ce que l'on compose et que l'on appelle un « chemin de mouvement » qui suit une échelle ou une gamme pré-definie de valeurs, valeurs qui peuvent être continues ou isolées. Si elles sont continues, on suit tous les points intermédiaires de l'échelle qui se trouvent entre les valeurs isolées, alors que les trajectoires isolées passent de manière abrupte d'une valeur de l'échelle à une autre. La différence entre une trajectoire de fréquence continue et une trajectoire de fréquence isolée est évidente si on se réfère à la différence entre une gamme jouable sur un instrument accordé avec des valeurs non-variables et une gamme jouée sur un instrument dont les valeurs peuvent varier continuellement. Sur un instrument à cordes, on peut jouer un glissando entre deux notes tempérées au même niveau et entendre toutes les valeurs intermédiaires micro-tonales alors que le piano nous laisse entendre uniquement des valeurs isolées de la gamme chromatique.

Pour ces deux pièces, j'ai composé des trajectoires pour de multiples aspects du son comme son amplitude, son timbre, sa fréquence, son mouvement harmonique interne, sa durée, et sa localisation spatiale. Ces paramètres sont composés de manière à assurer l'indépendance du mouvement contrapuntique de tout les paramètres, et ainsi ne pas suivre la ligne traditionnelle qui voudrait que tout les paramètres suivent le même rythme. Dans ces pièces, un exemple important de la composition dans le continuum est mon concept de « chemin de timbre », qui est une trajectoire de la transformation du timbre. Ces chemins sont multiples à l'intérieur de la partie d'un seul instrument et implique la variation d'un paramètre particulier du son pour créer un continuum timbral. Il peut y avoir des transitions timbrales continues ou abruptes. Par exemple, les chemins de timbres peuvent varier entre des timbres pures et des timbres très riches en harmoniques , entre des timbres stables et instables, entre des timbres riches en bruit et des timbres pauvres en bruit, entre des timbres avec un vibrato rapide et léger et ceux dont le vibrato est lent et profond.

Le second point de théorie sur lequel je me base pour la composition de ces pièces provient de la musique micro-harmonique de Scelsi. Le Continuum peut être considéré comme un genre de musique spectrale car ses micro-variations continues de fréquences peuvent être analogues au mouvement des partielles désaccordées et instables des séries harmoniques explicites ou implicites. L'utilisation des micro-variations continues de hauteurs qui évoluent lentement peut évoquer le mouvement global de la série harmonique d'une note complexe vers une autre série. Cela revient à poser un microscope auditif à l'intérieur même de l'instabilité de la structure harmonique d'une seule note complexe dans un processus de désaccord constant. Au dessus d'une fréquence fondamentale plus ou moins stable, on peut trouver une diversité incroyable d'activités des micro-composants individuels (partielles), comme s'ils refusaient d'être réduits à une seule série harmonique de tonalités.

Dans la chanson «On the road at night», la partie UPIC est utilisée afin de clarifier les séries harmoniques de la voix et de la flûte. La partie UPIC contient souvent la fréquence fondamentale ou bien une autre faisant partie de la même série harmonique que la voix et la flûte. De plus, L'UPIC amène souvent un changement de série harmonique par un changement d'une fréquence fondamentale vers une autre. Cependant, bien que la fréquence fondamentale soit perceptible en tant que note centrale, il y a autour d'elle de nombreux micro-mouvements : jusqu'à 64 micro-composants désaccordés sont assignés à quatre formes d'ondes, chacun provenant d'instrument échantillonné, chacun avec sa propre enveloppe complexe et un arc de modulation de fréquence qui impose un mouvement de hauteur micro-tonale et de paternes rythmiques à la fréquence centrale ce qui lui confère une stabilité relative.

C'est dans la notion de continuum entre ordre et désordre de Xenakis que j'ai puisé ma troisième source d'inspiration. Au micro-niveau des transition paramétriques, évoluant lentement, les transitions continues sont identifiées comme des tendances vers l'ordre et les transitions discontinues comme des tendances vers le désordre. La discontinuité créée une tendance vers le désordre par un isolement, qui est une transformation paramétrique qui saute abruptement entre les valeurs isolées de l'échelle. On peut également trouver une tendance au désordre au niveau macro de la perception de l'objet sonore. La perception de l'unité de la note, le produit d'une seule série harmonique, se dissout dans la complexité montante du cluster, un objet qui est trop complexe pour être entendu comme le produit d'une simple série harmonique pour en arriver au bruit, encore plus complexe. Le bruit peut être stable bien qu'il soit complexe, ou instable, semblant exploser en de multiples micro-composants.

Dans ces deux chansons, on peut trouver à la fois une tendance au désordre sous la forme d'une montée de la discontinuité et de l'isolement du niveau micro-paramétrique mais aussi une tendance vers le désordre du niveau macro de l'objet sonore. La partie UPIC devient de plus en plus complexe, les objets sonores ne sont plus perceptibles même comme des notes très instables mais dissolvent dans des clusters denses.

--traduction: Célia Cukier

Battle

Battle (Bataille) est une mise en musique d'une scène de Weaveworld (1987), roman célébre de l'écrivain Clive Barker (dont la traduction en français est Le Royaume des Devins). Le moteur de cette scène dramatique musicale est la lutte pour la reconciliation de la discontinuité et la continuité, du désordre et de l'ordre. Une chose ne detruira pas l'autre mais il est ici question de la coexistence à la fin de l'oeuvre des deux mondes sous la forme d'un chaos, une structure qui est en même temps ordonnée et désordonnée. La macro-forme de la pièce s'inspire d'études scientifiques sur le passage de l'ordre au désordre, au chaos dans la nature (la période 3 implique le chaos).

Dans le roman, Immacolata (la Madone Noire), Shadwell (un vendeur maléfique qui aide Immacolata), et les Byblows (les enfants monstrueux de la soeur d'Immacolata) représentent les forces de la discontinuité et du désordre, la haine et le matérialisme, qui souhaitent détruire le Weavworld. Par contre, les Seerkind (des êtres surnaturels aux pouvoirs magiques originaires du jardin d'Eden), Suzanna et son amant Cal (les gardiens du tapis vivant Weaveworld où se cachent les Seerkind) représentent les forces de la continuité et l'ordre, l'amour et l'imagination. Dans Battle, Cal chante trois fois un hymne à l'amour et à l'imagination: « Bien que la vie soit un désert de poussière, l'amour que les vrais amants imaginent ne devra jamais être perdu » . Battle est orchestré pour quatre voix de solo: Suzanna (soprano lyrique), Cal (ténor), Shadwell (basse), Immacolata (haute soprano) et deux choeurs mixtes électroacoustiques (Seerkind et Byblows). Les deux choeurs sont préenregistrés et spatialisés sur bande multipistes. La macro-forme de la pièce est partagée en quatorze petites séquences sonores dans lesquelles les deux mondes antithétiques se combattent jusqu'à la quinzième séquence qui conclut leur coéxistence sous la forme d'un chaos. L'oeuvre a été commandée par Nicholas Isherwood et son ensemble vocal VoxNova avec le soutien fiancier.

--traduction: Célia Cukier

Le Fleuve de Désir

Pour Le Fleuve, j'ai trouvé mon inspiration dans l'observation de diverses sortes de fluides qui amènent un imaginaire sonore : rivières, eau qui bout dans une casserole ainsi que dans un fluide de type différent que Freud appelle « libido » , qui est le fluide mythologique utilisé pour décrire la montée et la descente du désir humain. Mon fleuve du désir fut donc inspiré par cet écoulement de fluide, réel et imaginé - cependant il n'y a pas de rapport avec de la poésie tonale qui décrirait l'écoulement de ce fleuve naturel par et avec des détails réalistes. La restitution de ce fleuve dans mon imaginaire musicale se rapproche plutôt d'une « rivière de son ».

La macroforme de mon fleuve du désir me vint comme une sorte de fantasme de rivière qui serait une substance sonore librement transformable. Mon fleuve sonore commence par être froid, glacé, presque immobile. Petit à petit la glace fond et l'écoulement se fait plus librement. Ce fleuve sonore, qui pendant un moment semblait évoluer lentement, doucement et de manière continue, devient tout à coup, turbulent. Il commence à bouillir, à devenir chaotique. Lorsque l'énergie devient trop forte, le fleuve se désintègre en vapeur. Cependant, lorsque la vapeur diminue cela entraîne une recondensation et un retour à une structure plus ordonnée. Lorsque mon fantasme du fleuve sonore s'achève, on atteint le repos et la félicité.

Cette pièce est conçue avec une évolution dans le temps de différentes structures sonores. Elle est composée par de multiples niveaux de perception structurelle. Au niveau micro de la perception, il y a huit trajectoires ou chemins de changement des paramètres du son dans le temps : la hauteur, le vibrato, les dynamiques, l'accentuation de l'archet, la position de l'archet, la couleur de l'archet ou matériau, la vitesse de l'archet, et la pression de l'archet. Au niveau méso, qui est le niveau de perception de la restitution du timbre ou de la structure harmonique nette, la pièce évolue de l'unisson désaccordé à la série harmonique, vers le cluster au bruit, du bruit instable vers la série harmonique à nouveau, et ensuite à l'unisson désaccordé pour finalement à la toute fin terminer à l'unisson parfait en octaves. Ce niveau du travail est équivalent à la modulation harmonique dans la musique tonale. Le niveau macro de la pièce est articulé au niveau de l'ordre et du désordre, mais est ici conçu de façon perceptible, et non mathématique. A un niveau formel, la pièce évolue de l'ordre vers le désordre, puis revient à l'ordre. Quoi qu'il en soit, ce qui est perceptible par l'auditeur est l'ordre et le désordre aux niveaux des sections intermédiaires et à l'intérieur des transitions entre les sections.

Certaines micro-transitions sont lisses, continues, et ainsi ordonnées pour l'oreille, et d'autres sont discontinues, non lisses, sautant d'une valeur isolée à une autre, sans relier graduellement les points scalaires. Celles-ci sont à l'intérieur des transitions de section de l'ordre vers le désordre. Quoi qu'il en soit, le niveau de «: catastrophe » (René Thom) ou de transition chaotique perceptible entraîne la création d'un niveau moyen, qui ce trouve à l'inter-section. Entre les deux premières sections de la pièce, les transitions sont lisses et graduelles, mais entre les sections trois et quatre, il y a un saut abrupt vers le chaos. Tandis que la turbulence s'installe, les changements perdent leur qualité lisse et continue et deviennent perceptiblement inattendus ou dissonants. Dans les sections cinq et six, tandis que le son devient de plus en plus désordonné et imprévisible, il se désintègre fréquemment en bruit instable. Ces sections intègre la notion de chaos sonore, c'est à dire un son qui est simultanément continu et discontinu. Ce sont des régions de contradictions perceptibles : des combinaisons impossibles et instables d'ordre et de désordre sonore. La transition de retour à l'ordre, entre les sections six et sept est de nouveau chaotique comme s'il ne pouvait y avoir de transition lisse entre du bruit instable et une structure sonore ordonnée telle que la série harmonique. A la fin de l'oeuvre, entre les sections sept et huit, il y a de nouveau une transition lisse et ordonnée entre la série harmonique et le son désaccordé qui se termine graduellement et doucement par une structure sonore à l'unisson sur cinq octaves.

--traduction: Célia Cukier

Monologue

Ecrit originellement en 1990, cette oeuvre fut complètement révisé en 1995. Il s'agit d'un opéra pour voix de basse et bande électroacoustique réalisée avec le système UPIC ainsi que les logiciels Hyperprism et GRM Tools. L'opéra s'inspire d'un texte de Samuel Beckett A piece of Monologue dont la version française est Solo. L'oeuvre est dédiée au chanteur Nicholas Isherwood et à Samuel Beckett.

La partie vocale de la pièce nécessite l'utilisation de techniques spécifiques contemporaines telles que le changement continu de la hauteur, de la dynamique et du timbre. La partie bande est en huit pistes et contient des transformations continues de vibrato, trémolo, filtrage et spatialisation de la bande stéréo originale UPIC.

--traduction: Célia Cukier

Makbénach

Gérard de Nerval dans son conte « Histoire de la reine du matin et Soliman, prince des génies », précise que le mot Makbénach signifie « la chair quitte les os ». Cette décomposition du corps est le résultat même de la mort. Personnellement, je m'intéresse plutôt à la composition et non à la décomposition, je conçois la création artistique comme antidote à la sombre conclusion : « tout est vain. »

Dans Makbénach, il s'agit de composition des sons dans un continuum de hauteurs, intensités et timbres qui forment ensemble des harmonies sonores instables toujours en évolution contrairement à certaines écritures instrumentales ou à certaines techniques de synthèse dont les harmonies tonales ou même spectrales me semblent figées. Les harmonies qui résultent des sons joués par les instruments sont enrichies et parfois élargies par une partie bande multipistes. Des transformations électroniques en direct - via la convolution du son instrumental avec une voix qui déclame le sens de Makbénach (en français) - représentent symboliquement des éruptions de désordre (angoisse) qui risquent de détruire le courage nécessaire au maintien du désir face à la certitude de la mort et de son résultat Makbénach. Cette oeuvre est dédiée à Paul Méfano et Daniel Kientzy.

--traduction: Célia Cukier